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Ni flics, ni complices, les psys se défendent face à #MeToo

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Sigmund Freud, père de la psychanalyse, 1936.Image: AP SIGMUND FREUD MUSEUM

Ni flics, ni complices, les psys se défendent face à #MeToo

La psychanalyse passe un mauvais quart d'heure. Cruel paradoxe: cette discipline où la parole est reine, est tenue par ses détracteurs pour complice du silence ayant entouré les crimes sexuels. Qu'en est-il vraiment? watson a fait parler un «accusé».
24.03.2021, 07:3624.03.2021, 15:04
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La psychanalyse est dans de sales draps depuis l’éclatement du phénomène #MeToo. Pourtant, elle cartonne sur Arte avec la série «En thérapie», dédiée à la France névrosée. La discipline née avec Freud à la fin du 19e siècle à Vienne, est accusée d’un côté, plébiscitée de l’autre. C’est à n’y rien comprendre. Pas vrai, Jacqueline ?

La Jacqueline en question n’est pas ici la copine de Marie-Thérèse Porchet, mais la psy dans la vidéo parodique de l’humoriste Claude-Inga Barbey diffusée le 15 mars sur le site du Temps, qui a fait scandale dans la communauté LGBT. Face à Jocelyne, patiente transgenre en pleine affirmation de soi, la psy Jacqueline se sent parfaitement inutile. Et même complètement larguée. Comme si la patiente avait pris le pouvoir sur la thérapeute.

Acte d'accusation, du lourd

Metoo, qui a éclaté en 2017 à la suite de l’affaire Weinstein, est pour beaucoup dans cette inversion des pôles. La parution en 2020 du livre de Vanessa Springora, «Le Consentement» (Grasset), puis au début de cette année de celui de Camille Kouchner, «La familia grande» (Seuil), signal de départ au hashtag #Metooinceste, n’ont fait qu’accentuer la pression sur une méthode de soin que ses détracteurs jugent complice des abuseurs.

L’acte d’accusation contre la psychanalyse sonne comme une condamnation par temps de tribunal révolutionnaire: une discipline au service de la domination bourgeoise et masculine, où les secrets sont bien gardés. Tout le contraire, comprend-on, de la «libération de la parole» introduite par Metoo et dont les femmes sont les grandes bénéficiaires.

Les cachotteries du découvreur de l'inconscient

Un peu de contexte, ne quittez pas! Dans une tribune parue le 25 janvier dernier sur le site de l’hebdomadaire français L’Obs, la psychanalyste Marie Balmary rappelait les zones d’ombre entourant Sigmund Freud et la difficulté qu’elle avait eue dans les années 1970 à faire entendre la chose suivante: à savoir que le découvreur de l’inconscient «avait été mêlé au déni des abus sexuels», afin, notamment, de protéger quelques notables de sa clientèle.

Une vieux dossier, déjà rouvert de manière assassine par le philosophe français Michel Onfray en 2010 dans son essai «Le crépuscule d’une idole» (Grasset). Quant à Paul B. Preciado, philosophe et activiste trans, il n’avait pas fait le voyage pour rien ce jour de novembre 2019. Invité à donner une conférence devant un parterre de psychanalystes lacaniens (voir le lexique en fin d'article), il qualifiait la psychanalyse de «discipline hétéro-patriarcale» ou «patriarco-coloniale». L'assistance avait encaissé.

«Ce n’est pas la psychanalyse qui a maintenu le silence dans l’affaire Weinstein. C'est le capitalisme, les intérêts en jeu. Tout le monde s’est tu, parce que tout le monde en "croquait"»
Damien Halgand-Moreau, psychanalyste à Genève

Alors, tout dégueu, la psychanalyse? Complice des saloperies des puissants? Rétentrice de la parole des femmes? Psychanalyste à Genève, tendance jungienne et pas freudienne (pareil, voir le lexique en fin d’article), Damien Halgand-Moreau répond aux attaques. «La psychanalyse, c’est par essence la parole libérée. L’accuser aujourd’hui d’avoir entretenu le silence sur des crimes sexuels participe de la recherche d’un coupable à offrir en pâture à la vindicte populiste. Pour un thérapeute, le prolongement logique de la révélation d’un crime sexuel lors d’une thérapie est que la victime puisse saisir la justice.»

Soit. Mais pas plus qu’il ne se veut complice d’abuseurs, le psy ne se voit en auxiliaire de police. Il reste que: «S’il y a une vie en danger, qu’une personne nous annonce son désir de fomenter un assassinat, évidemment une question éthique se pose pour notre part », assure le Genevois.

«Un jour, un père m’a dit avoir pratiqué des attouchements sur son petit enfant. J’ai reconnu son courage de l’exposer. Mais on ne peut évidemment pas en rester là»
Un psychothérapeute lausannois

Ce confrère lausannois souhaite garder l’anonymat. «Il faut bien comprendre que le processus thérapeutique vaut pour les victimes mais aussi pour les bourreaux, dit-il. La thérapie n’entre pas en contradiction avec une procédure judiciaire.» Pour certains, l'écoute accordée à une parole qui peut être scandaleuse dans ce qu'elle révèle sera sans doute déjà de trop.

«Le psychanalyste a l’individu comme objectif, pas la société, replace Damien Halgand-Moreau. C’est pour cela que le psy va plutôt aider la personne à se soigner, à comprendre ce qui ne va pas, naturellement pas à l’encourager dans ses dérives. Il faut que le patient puisse aborder des comportements graves avec nous. Si le psy se pose comme une ligue de vertu ou comme un prêtre en juge de la morale, ça stérilise tout rapport thérapeutique

Damien Halgand-Moreau salue la sortie du livre «La familia grande» de Camille Kouchner, qui a le mérite selon lui de «libérer la parole», sur un tabou, l’inceste. «Quand les choses sont dans l’inconscient, elles sont très puissantes, note-t-il. Des comportements incestueux, criminels et destructeurs d’un enfant dans sa propre famille, peuvent rester actifs tant que les choses ne sont pas dites

«Ce que je regrette, c’est la perte de la présomption d’innocence des personnes mises en cause, qui n’ont plus la possibilité de se défendre»
Damien Halgand-Moreau, psychanalyste à Genève

Contrairement à Jacqueline, la psy caricaturée par Claude-Inga Barbey dans sa vidéo polémique, Damien Halgand-Moreau ne se considère pas désemparé face aux transgenres. «J’ai des personnes LGBT en analyse, confie-t-il. Le projet pour moi est d’amener l’individu à découvrir et à embrasser qui il est avec plus de joie, de légèreté et d’harmonie, quels que soient son genre, son orientation sexuelle et son origine culturelle.»

Et maintenant, le gant de crin. «Les divers Metoo ne remettent pas en cause mon métier, estime le psychanalyste genevois. En revanche, ils mettent en lumière une problématique qui est celle de la quête du moi. Des individus sont en souffrance, mais d’autres cherchent juste à être dans la reconnaissance.»

«Il y a chez certains individus un amour profond pour la posture de victime»
Damien Halgand-Moreau, psychanalyste à Genève

«Face aux agitations, nous devons rester calmes, prône, comme à lui-même, Damien Halgand-Moreau. La vie se déroule, la caravane passe et la souffrance humaine, elle, devrait être notre seule et unique cible.»

Parlez-vous psy ?

Freudien (de Sigmund Freud, neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse, 1856-1939): tenant d’une psychanalyse classique, où on laisse la personne parler, vider son sac. Le tout-sexuel fonde le système freudien. Tout serait lié à la pulsion sexuel et à la libido.

Jungien (de Carl Gustav Jung, médecin psychiatre suisse, 1875-1961): s’oppose au freudisme sur la question du tout-sexuel. Considère que l’être humain est régi par des choses plus mystérieuses, la spiritualité et d’autres aspects devant être pris en compte pour qu’une psychanalyse soit complète.

Lacanien (de Jacques Lacan, psychiatre et psychanalyste français, 1901-1981): s’attache au vocabulaire employé, aux jeux de mots qui révèlent des problématiques cachées, des complexes enfouis dans une logique psychanalytique.

L’inconscient: tout ce qui est sous le niveau de la conscience, comme pour l’iceberg dont les 9/10e sont sous le niveau de l’eau. Tout ce qui constitue nous constitue, nos mémoires oubliées, nos blessures, nos traumas. C’est la boîte noire qui régule nos chocs et qui nous permet de fonctionner quand même. «Le but de la psychanalyse est de ramener les problèmes les plus actifs de l'inconscient à la surface, de manière à ce qu'ils perdent de leur force, rappelle le psychanalyste genevois Damien Halgand-Moreau. Quand les choses sont parfaitement inconscientes, elles sont extrêmement puissantes et nous agissent.»

L’œdipe: c’est la triangulation, l’abscisse et l’ordonnée qui font apparaître un individu sur terre, c’est-à-dire un père et une mère, ou ce qui en tient lieu, explique Damien Halgand-Moreau. Il s’agit aussi d’une structure psychique, symbolique, qui forge la personnalité de l’individu. D’où le complexe d’Œdipe. Chez Freud, ce complexe est lié à la sexualité, dans le cadre de la triangulation décrite.
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