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Accentué par la crise du Covid-19, un élan libertaire parcourt la Suisse

Montage photo mouvements libertaires anti-mesures covid Suisse
Analyse

Accentué par la crise, un élan libertaire parcourt la Suisse

Ces derniers mois, la Suisse a vu s'organiser des groupes contre les mesures sanitaires liberticides. Que traduit leur colère, au-delà de la crise? Analyse.
15.03.2021, 06:0929.08.2022, 13:15
Jonas Follonier
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Ils sont des artisans impactés par les mesures sanitaires, des jeunes en quête de vie, des libertaires dans l'âme ou simplement des citoyens qui se questionnent ou s'insurgent contre la politique menée depuis un an pour lutter contre le Covid-19. Pour une partie d'entre eux, ils se sont agrégés en groupes pour agir et se faire écouter, comme ils le feront ce samedi 20 mars à Bâle et à Berne, où plusieurs milliers de manifestants sont annoncés. Lumière sur un élan en marche.

Un foisonnement de petits et moyens groupes

Ici et là, par monts et par vaux, des groupes de petite ou moyenne importance sont apparus pour s'élever contre les mesures du Conseil fédéral et proposer d'autres stratégies. En voici une petite sélection:

  • En Valais, deux patrons chablaisiens se sont réunis sous l'étiquette «Les citoyens libres et responsables» pour lancer la pétition «Pour le retour à la liberté en mars!». Le but? Inviter le gouvernement à lever les mesures de confinement et présenter une stratégie de sortie progressive.
  • En Suisse centrale, l'Aktionsbündnis Urkantone für eine vernünftige Corona-Politik («groupe d'action des cantons primitifs pour une politique raisonnable sur le Covid-19») organise des actions de contestation à l'encontre des mesures sanitaires liberticides. Comme le 9 janvier 2021:
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Aktionsbündnis Urkantone für eine vernünftige Corona-Politik
L'Aktionsbündnis Urkantone für eine vernünftige Corona-Politik en train de manifester sur la place principale de Schwytz le 9 janvier 2021.
source: keystone / urs flueeler
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  • Retour en Suisse romande avec le groupe Collectif Santé Réinfo Covid coordonné par Astrid Stuckelberger et Delphine Héritier De Barros et réunissant des «professionnels de la santé soucieux de partager des informations fiables, indépendantes et transparentes au sein des communautés médicales et paramédicales». L'une de leurs devises? «Sortir nos concitoyens de la peur».
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  • Au niveau national, le Réseau Choix Vaccinal se concentre sur la question du vaccin en militant pour la politique du libre choix et en ayant pour objectifs de «continuer la discussion, sensibiliser les gens à ce sujet, mais aussi ébranler les convictions et faire réfléchir».

Zoom sur «Les Ami.e.s de la Constitution»

Politique, mais pas partisan: le mouvement «Les Ami.e.s de la Constitution», qui s'organise sous forme d'association, a été créé fin juillet 2020 et défend les institutions suisses et les libertés individuelles contre un Etat jugé trop intrusif dans la vie des gens.

C'est ce groupe comptabilisant actuellement 5700 membres en Suisse, dont 460 en Suisse romande, qui a déposé en janvier les plus de 50 000 signatures nécessaires pour qu'il y ait un référendum sur la loi Covid-19 (près de 90’000 signatures ont été recueillies). L'objet sera soumis au vote en juin, en même temps que la loi sur le CO2.

Le coprésident et cofondateur de l'association, Werner Boxler, est un Lausannois d'adoption depuis 1984, d'origine saint-galloise. Mécanicien de formation, pédagogue, éducateur ou encore coach de vie, ce sexagénaire plutôt de gauche (il a voté oui à l'initiative dite «Minder» en 2013) se dit très ému quand il explique ce qui l'a poussé à créer cet organisme peu après l'introduction des mesures d'urgence du Conseil fédéral:

«Je déplore une coupure entre la classe politique et le peuple! Nos représentants ne répondent plus à nos interpellations. Je leur demande d’assumer le travail pour lequel nous les avons élus»
Werner Boxler, co-président des «Ami.e.s de la Constitution»

Le moment où, dit-il, «les parlementaires se sont disqualifiés», c'est quand ils sont rentrés à la maison en mars 2020 et qu'ils ont laissé la main au Conseil fédéral. C'est ce qui a motivé ce partisan «de la liberté individuelle, de la responsabilité individuelle et de l'égalité pour tous» à être à l'origine de la création d'une structure ayant pour vocation de faire entendre les préoccupations de citoyens en détresse personnelle due aux mesures et en profond désaccord avec le gouvernement.

Werner Boxler, co-président des Ami.e.s de la Constitution
Werner Boxler, co-président des Ami.e.s de la Constitution, chez lui à Lausanne: «Je passe beaucoup de temps devant mon ordinateur» («–Tu m'étonnes, moi aussi!»)Image: watson

Pour Werner Boxler, la crise a non seulement révélé le fait que le peuple est de moins en moins souverain, mais aussi que «les conflits d'intérêts et les lobbies dirigent le pays» et que beaucoup de citoyens ne pensent plus par eux-mêmes. En plus, «la Suisse est un pays hautement obéissant». Boxler en appelle à une prise de conscience des habitants de ce pays, pour qu'ils ne se laissent pas confisquer leurs libertés de croyance, de déplacement, de réunion... «Sans autonomie, il n'y a pas de débat ou de vie démocratique».

Quand on le lance sur l'UDC et la probabilité que le parti de droite conservatrice drague son association, Werner Boxler dit en être conscient. «Nous sommes ouverts à toute collaboration avec des gens de bonne volonté, tant qu'ils partagent les valeurs de notre charte et qu'il n'y a pas de conflits d'intérêts», explique le coprésident. «Mais je me porte garant que nous ne fusionnerons avec aucun parti

«Notre mouvement englobe l’ensemble de l’échiquier politique, nous œuvrons pour les droits constitutionnels en lien avec les libertés aussi bien que pour la durabilité, le respect de notre planète, la solidarité et l’entrepreneuriat»
Werner Boxler, co-président des «Ami.e.s de la Constitution»

«Les Ami.e.s de la Constitution», de plus en plus nombreux (environ 200 nouveaux adhérents par semaine), feront-ils parler d'eux sur d'autres sujets que le Covid-19 – et la loi anti-terroriste contre laquelle ils se sont engagés en soutenant le référendum lancé par les Jeunes socialistes, les Jeunes Verts, le Parti vert'libéral et le Parti pirate? La réponse:

«Si la loi sur les médias est validée, il faudra s'attendre à ce qu'on lance un référendum. Et nous préparons le lancement d'une initiative populaire»
Werner Boxler, co-président des «Ami.e.s de la Constitution»

Le contenu de cette initiative? Il est encore trop tôt pour le savoir. On aura en tout cas compris que la vie politique suisse est désormais agitée par la présence d'un nouvel acteur. Brisant les appartenances partisanes, mais en plein dans la tradition de la démocratie directe et de la société civile.

Le besoin d'être représenté

Le besoin d'être représenté politiquement, l'une des motivations des mouvements anti-mesures Covid, semble être devenu une question cruciale ces derniers mois et années. Outre les marches pour le climat mondiales portées par des militants qui ne s'estiment pas écoutés par les élus et les gouvernants, les «gilets jaunes», symbole d'une France périphérique oubliée, occupent l'histoire récente de nos voisins.

Une récente étude relayée par Le Monde diplomatique indique que le nombre de manifestants lors des premiers grands rassemblements des ronds-points pourrait être bien plus élevé que ce qui avait été avancé jusqu'à maintenant. Plus élevé au point que ce mouvement de contestation, à la toute base en réaction à une hausse de taxe sur le diesel, serait tout à fait comparable en importance à des épisodes comme Mai 68.

Toujours dans le pays voisin, l'émergence d'intentions de vote non-négligeables pour des personnalités hors du circuit politicien telles qu'Eric Zemmour ou Cyril Hanouna traduit également un rejet des partis et de la politique traditionnelle. Quelque chose se produit et il serait faux de croire que la Suisse n'est pas concernée, comme le montrent, chacune à sa façon, la vague écologiste et la vague anti-mesures Covid.

Le clivage de plus en plus marqué entre villes et campagnes signe également la fin du mythe d'une Suisse unie et apaisée. D'un côté, le ressentiment de toute une partie de la population des cantons ruraux à l'égard de mesures venant des villes et qu'ils jugent non-adaptées aux réalités locales, telles que la Loi sur l'aménagement du territoire (LAT) et, de l'autre, les critiques lancées par des voix citadines à l'encontre de la règle de la double majorité, illustrent ce clivage.

Un noyau trumpo-libertaire

Selon le politologue Oscar Mazzoleni, professeur à l'Université de Lausanne, «il faut assumer l’hétérogénéité de ces revendications». Ce n'est pas une question de droite ou de gauche d'après le spécialiste et il n'y a même pas de dénominateur commun au niveau des sensibilités des personnes en question. «La seule chose qui les rassemble, c’est le refus des mesures du gouvernement», avance le politologue.

Plus précisément, il voit dans tous ces groupes plus ou moins organisés «une demande d'ouverture plus rapide de la vie associative, économique, sociale et culturelle». Or, au-delà de ces revendications très concrètes, n'y a-t-il pas aussi une méfiance à l'égard des élites, par exemple sur la question des vaccins, ou un attachement à des principes plus abstraits à l'image du référendum contre la loi Covid, porté par «Les Ami.e.s de la Constitution»?

«C'est certain», concède Oscar Mazzoleni, «et la stratégie de l'UDC est justement de répondre avec un discours dont les arguments ne portent pas seulement sur l'économie, mais aussi sur la liberté de manière plus générale.» Ce libéralisme intégral teinté de populisme, donc, au sens de la défense d'individus contre un système qui leur porte atteinte, l'UDC l'a investi avant le Parti libéral-radical (PLR) dans le contexte de la crise. Assiste-t-on dès lors en Suisse à la naissance d'une tendance «trumpo-libertaire»?

Et le clivage gauche-droite?

Selon l'historien vaudois Olivier Meuwly, il faut nuancer cette analyse. «Gauche et droite restent des grilles d'analyse pertinentes aujourd'hui, peut-être même encore plus qu'avant», aux yeux de cet observateur par ailleurs membre du PLR. «La crise a fait rejaillir l'habituel antagonisme liberté-égalité», estime l'historien. «On veut avoir les deux, évidemment, mais selon son orientation, on va privilégier l'une ou l'autre.»

«Le discours de gauche "la santé avant tout" vise l'égalité et le discours de droite "il faut tout rouvrir maintenant" vise la liberté. Cela donne lieu à deux populismes. Il faudrait plutôt trouver un équilibre entre les deux.»
Olivier Meuwly, historien vaudois

Si le radical vaudois est d'avis que ces tensions de fond pourront se résoudre via les outils classiques de la démocratie directe, tels que les référendums, une forme d'inquiétude s'ajoute à sa vision de l'avenir proche: «Y aura-t-il des formes de règlements de compte? Et quel sera le résultat de la dépression collective qu'on s'est infligée?» Graves questions.

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