Le PDC va devoir se réinventer. C'est la conclusion tirée ce dimanche d'élections par la direction du parti, après la perte historique d'une majorité au Conseil d'Etat.
Décryptage d'un long effritement du parti qui a tenu les rênes du canton.
Les démocrates-chrétiens, en Valais, ce n'est pas un parti, c'est une institution. Une famille faite d'oranges (les PDC du Valais romand), de noirs (les PDC conservateurs du Haut-Valais) et de jaunes (les chrétiens-sociaux du Haut) qui règne sur le Valais depuis toujours.
Mais une institution qui s'effrite progressivement depuis quelques décennies. Pour des raisons diverses, le monument de la «famille C», comme partout ailleurs (en Suisse, le PDC est passé de 23,4% des suffrages en 1963 à 11,4% en 2019), bien qu'à moindre mesure, s'effrite progressivement à tous les niveaux, sauf celui de l'exécutif cantonal.
Fins observateurs de la vie politique, l'ancien président de la Confédération, le PLR Pascal Couchepin, et Johan Rochel, cofondateur du mouvement valaisan Appel Citoyen, nous aident à comprendre.
Comment comprendre cette lente érosion du PDC, même en Valais, dernier canton où il est encore un parti de pouvoir? L'histoire de cette érosion est d'abord liée à la diversification de la société.
Il est fini le temps où beaucoup de Valaisans étaient paysans et où beaucoup de paysans votaient PDC. De même, la politique par fanfares ou familles a fait son temps: on ne vote plus forcément comme son père.
De manière plus générale, «appartenir à un parti et suivre les mots d'ordre devient de plus en plus relatif», comme le note Johan Rochel, cofondateur du mouvement valaisan Appel Citoyen, qui est justement apartisan.
La société d'aujourd'hui compte également moins de familles traditionnelles, avec un père, une mère et des enfants, ce qui peut jouer un rôle dans le destin d'un parti, qui a la famille traditionnelle au cœur de son ADN thématique.
Qu'en pense Pascal Couchepin, radical martignerain pur jus, qui a toujours combattu le PDC? Pour l'ancien conseiller fédéral, l'érosion du PDC Valais est due à la durée de leur pouvoir, mais aussi à leurs contradictions. Tiens, par exemple celle-ci: «A entendre le PDC, il faudrait qu'il conserve ses trois sièges au Conseil d’Etat pour que ses trois sensibilités (orange, jaune, noire) soient représentées. Or, ils font campagne avec le slogan "Ensemble".»
Le parti paie les frais d'un système électoral qu'il a lui-même mis sur pied, il y a trente ans. Explications:
Le fait qu'une majorité absolue ait pu tenir jusque-là s'explique par ce système, mais aussi par «la règle électorale selon laquelle les différentes régions doivent être représentées autour de la table du gouvernement», relève l'historien fribourgeois, Bernhard Altermatt, par ailleurs membre du PDC. «De plus, la taille du gouvernement (cinq, ce n'est pas beaucoup) joue un rôle dans ce genre d'élections, forcément plus limitées par des règles régionalistes que si le gouvernement comptait plus de sièges.»
La présence de moins en moins importante de la religion dans les choix électoraux, et la société en général, jouerait-elle aussi un rôle dans la dégringolade du PDC? «S'il n'y a jamais eu de vote confessionnel (pour ainsi dire, tout le monde en Valais est catholique), il y a toujours eu chez le Valaisan la volonté d’afficher plus ou moins son catholicisme», lance Pascal Couchepin. «Cela va de l'extrême d'un Adolphe Ribordy, radical historique, décédé récemment, qui n'a pas été baptisé, à l'extrême des intégristes qui sont partis à Ecône (red: la fraternité traditionaliste de Saint-Pie X) après le concile de Vatican II.»
Ces derniers votent aujourd'hui majoritairement UDC. Du moins, «leur frange populaire», précise la figure radicale de Martigny. «Nous avons affaire à deux partis (le PDC et l'UDC) qui se livrent à une âpre concurrence pour apparaître comme le parti le plus conservateur», complète Johan Rochel. «Dans le cadre de la Constituante, c’est flagrant sur les questions de rapports entre l'Etat et les communautés religieuses, mais également sur les questions de société.»
Il est ainsi probable qu'une bonne partie des voix, perdues par le PDC, se soient retrouvées à l'UDC. Mais le Parti démocrate-chrétien n'est pas le seul à avoir vu partir certains de ses électeurs, au profit de ce nouveau venu:
Il y a aussi l'urbanisation. «Dans le Valais francophone, ce phénomène a libéré les gens des attaches traditionnelles», commente Pascal Couchepin. «Le Haut-Valais, lui, continue de voter PDC aussi longtemps que le parti leur assure des avantages au niveau cantonal.» A savoir, une (sur)représentation de cette minorité linguistique au législatif, à l'exécutif ou dans l'administration.
Dans l'esprit de plus en plus de Valaisans, le PDC est associé à l'esprit de clan. A une volonté, consciente ou subconsciente, de préserver un système, qui en arrange certains, mais qui en lasse d'autres.
Bien sûr, les choses ont évolué depuis cinquante ans. L'appartenance au Parti joue de moins en moins un rôle pour les nominations à des postes clefs, au sein de l'administration. Le quotidien cantonal Le Nouvelliste n'est plus l'organe de presse des conservateurs. Il n'empêche, trois sièges sur cinq au Conseil d'Etat, cela permettait de facto la continuation d'un régime où, quel que soit le sujet traité à la table du collège gouvernemental, le PDC avait la possibilité de faire bloc.
Or, comme le souligne l'éthicien Johan Rochel, «tous les partis, ayant été en quelque sorte propriétaires de l’Etat, prennent de mauvaises habitudes.» Celle, par exemple, de pratiquer l'art de l'entre-soi. Pascal Couchepin abonde:
Pour l'ancien président de la Confédération, le meilleur allié du conformisme est le vide au niveau des idées. «J’ai connu dans ma vie beaucoup de démocrates-chrétiens», explique-t-il. «Certains étaient des fanatiques, d’autres des gentlemans. Les pires étaient les sans conviction: jamais quelque chose ne faisait obstacle à leur adaptation au système.»
Jean-Jacques Michelet, ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire, à tendance libérale-radicale, Le Confédéré, considère que l'appel des partis minoritaires a fait office d'«accélérateur possible d'un processus de modernisation». Mais il y voit également la possibilité que le PDC se présente comme une victime, alors qu'il est majoritaire sur tous les plans.
Or, l'observateur de la politique valaisanne estime que la formation doit anticiper son avenir proche. «Il s'agit moins de savoir si les idées défendues par le parti sont majoritaires en Valais (elles le sont), que de se demander si ce parti révisera son attitude: il faudra davantage convaincre autour de projets. Cette nouvelle exigence sera un plus pour la bonne gouvernance du canton.»
Pour Johan Rochel aussi, l'appel des partis minoritaires à ôter du Conseil d'Etat un membre démocrate-chrétien a participé à un processus naturel de rééquilibrage des sensibilités. Celui-ci s'est déjà opéré dans un canton comme Fribourg et, pour ce qui est du Valais, cette diversité politique s'est manifestée lors des dernières élections au Grand Conseil. Le PLR, le PS et surtout Les Verts ont effectivement gagné des sièges au détriment du PDC, qui confirme son recul en cours, depuis des décennies. Le 28 mars, le peuple a mis fin à l'historique majorité absolue du PDC au Conseil d'Etat. A voir si l'élection au Conseil des Etats, dernier bastion du PDC Valais puisqu'il y détient les deux sièges, subira le même sort en 2023.