Comme l'an dernier, des experts disent déjà qu'il a l'air moins bien, que sa balle rebondit moins haut, que la bulle sanitaire lui a ôté tous ses repères, ses victoires printanières alignées comme des bouteilles d’eau devant sa chaise (routine) ou ses shots de tequila pour aller danser (confiance); son petit hôtel de la rue Jean Goujon (repères) et sa brioche au Café de la Paix (habitudes); et cette fois, pour de bon, c’est la fin de son monde.
Pris de jeunisme, Mats Wilander annonce carrément le triomphe de Jannik Sinner, 19 ans, deux petits titres sur le circuit.
Ces doutes-là reviennent à chaque printemps et, comme les hirondelles, volent en escadrille. De Becker à Wilander, les leaders d'opinion évaluent les chances de Nadal à l'aune du climat et de son impact sur le lift, dont dépendrait la confiance d'un garçon supposément fragile, peureux et bourré de tics.
Mais Nadal à Roland-Garros, ce n’est pas qu’un lift sous le cagnard, une fougue de taureau et des maniaqueries de compétiteur névrosé. C'est cent victoires pour seulement deux défaites, au mépris de toutes les réticences. C’est un vécu, une faculté d’adaptation, un esprit de sacrifice, une compréhension du jeu sur terre battue, des qualités spécifiques que personne n’a jamais égalées. C’est un constat qui dépasse les simples contingences de l'âge et du temps: Nadal est chez lui à Roland-Garros, à 18 ans comme à 35, qu'il pleuve ou qu'il vente.
Depuis toutes ces années où les oracles prédisent sa fin, Roger Federer n'en sera probablement pas offensé: à Paris, plus personne ne semble voir autre chose qu'un vieux crooner sur le retour, une dernière tournée pour la forme (petite forme). On attend fébrilement qu'il gratte ses cordes, joue des sons connus de lui seul, qu'il tape un peu avec ses pieds, dans le rythme d’un tennis bien balancé, et plonge les foules parisiennes dans l’hystérie, des cols blancs aux gilets jaunes, avec quelques morceaux de bravoure - rien que deux ou trois morceaux.
731 jours après
— We Are Tennis France (@WeAreTennisFR) May 28, 2021
2 ans
🎊 Roger Federer est de retour à Paris 🎊
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C’est un peu ça, le Federer d’aujourd’hui: une bête de scène qui transcende sa carcasse en rappelant qu’il se fait vieux, qui porte son bandana comme la relique d’un temps où les mèches étaient encore rebelles, Jimi Hendrix façon Isostar, et une clameur qui l’entraîne, un public qui lui balance des tonnes de «Je t’aime». Et qui n'en finit pas de le bisser, et de le bisser encore, et encore, et encore.
Seize mois après, dont neuf de chimiothérapie, la revoilà sur un court. Carla Suarez Navarro s'était promise que si elle terrassait son cancer du système lymphatique, elle «rejouerait une fois à Roland-Garros».
Carla Suarez Navarro est de ces techniciennes brillantes, spécialement sur terre battue, qui ne sont jamais sur la photo, que l'on programme à l'heure de l'apéro, quand les invités arrivent, comme une musique d'ambiance, en attendant le défilé des blondinettes en jupettes.
Pour une fois, rien qu'une dernière fois, tout le monde viendra la voir.
Stan Wawrinka n'est pas remis de son opération à un tendon de la voute plantaire. Il court (trottine) après le temps perdu. Il ne sera pas à Roland-Garros, peut-être pas à Wimbledon, mais il entretient l'espoir de réaliser «au moins encore une année pleine», idéalement une grande année.
En attendant, les abonnés d'Amazon Prime pourront le voir chaque soir en ouverture des night session, son nom en grand dans le générique. «Stan the Man» est l'acteur principal du nouveau clip de Martin Solveig, son fan et ami, dans un revival du tube «Hello» sorti il y a dix ans.
L'organisation ne pardonne pas à Naomi Osaka sa décision unilatérale de boycotter les conférences de presse, au nom de sa «santé mentale».
De nombreux joueurs ont partagé leur étonnement, dont Rafael Nadal:
Mais la sportive la mieux payée du monde n'a pas besoin d'entendre qu'elle est «incredible», que la terre battue n'est pas son truc, que chaque détail compte, qu'il faut prendre les matches les uns après les autres (ce qui n'empêche pas d'en perdre), qu'une interruption de jeu est la goutte de pluie qui met le feu aux poudres, toutes ces questions un peu viles qui peuvent surgir d'une conférence de presse et rappeler que la vie n'est pas une longue chienne tranquille.
Pour sa santé, Naomi Osaka pourrait également boycotter les lits, sachant que 94% des gens y meurent.
Son sponsor menace de le quitter, son ex l'a déjà fait, et la France ne souhaite pas sa présence aux Jeux olympiques, tous pour une raison identique: l'attitude.
Benoît Paire débarque à Roland-Garros avec un bilan de 14 défaites en 16 matchs, la dernière sur abandon à Parme, au beau milieu d'un match, en raison d'un... mal de gorge. Paire n'en vitupérait pas moins sur le court:
Il a passé l'année écoulée à râler et picoler, à prendre le pognon et à se tirer, à s'ériger en victime expiatoire du Covid, sans personne pour l'acclamer et le sauver de l'asthénie; une année à grommeler dans sa barbe ses déboires de tennisman à 10 000 dollars la semaine, pressé de rentrer chez lui où, enfin, aucun arbitre ne viendrait le juger.
Il n'en reste pas moins la meilleure chance française à Roland-Garros, ce qui dit beaucoup de la France et du karma.
En valeurs théoriques, les quarts de finale du tableau masculin correspondent à cette projection de l'ATP:
Projected #RolandGarros 2021 quarter-finals (by seeding) 🚨
— Tennis TV (@TennisTV) May 27, 2021
🇷🇸 Djokovic v Federer 🇨🇭
🇪🇸 Nadal v Rublev 🇷🇺
🇩🇪 Zverev v Thiem 🇦🇹
🇬🇷 Tsitsipas v Medvedev 🇷🇺
Sur les sites de paris en ligne, Rafael Nadal est le favori incontestable avec une cote moyenne de 5/6, devant Novak Djokovic (9/2), Stefanos Tsitsipas (5/1) et Dominic Thiem (11/1).
Pour tenter le jackpot, il faut miser sur Daniil Medvedev (50/1), qui n'a jamais gagné le moindre match à Roland-Garros. Les finales les plus cotées sont Nadal - Tsitsipas (3/1) et Nadal- Zverev (13/2).