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Les Canadiens de Montréal ont toujours déchaîné les passions

Attaque du président de la NHL Clarence Campbell par un fan des Canadiens de Montréal
Un fan des Canadiens de Montréal tente d'attaquer le président de la NHL, Clarence Campbell (en haut à droite), le 17 mars 1955. keystone

Le Canadien de Montréal a toujours déchaîné les passions

Il y a 66 ans, un match du mythique club de hockey sur glace dégénérait en émeute patriotique. Fierté et symbole des Québécois, il est aujourd'hui encore l'unique formation francophone de la prestigieuse NHL. Les Habs bénéficient d'une ferveur populaire inégalable.
19.03.2021, 17:0619.03.2021, 22:50
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Ce jeudi soir 17 mars 1955, Montréal explose de colère. Les vitres du Forum, la salle multisports de la ville, se brisent sous les lancers de cailloux, bouteilles et morceaux de glace. Dans la rue, les kiosques sont incendiés et les voitures renversées. La police arrête des dizaines de personnes.

Un coup d'état? Une grève générale? Non, une émeute à cause d'un match de hockey sur glace. Elle a même un nom (et une page Wikipédia): «Emeute Maurice Richard». C'est celui de l'attaquant vedette du Canadien de Montréal. Pourtant, le hockeyeur ne participe pas à ces scènes de guérilla urbaine. Mais il en est à la source.

Quatre jours plus tôt, le club montréalais dispute un match de NHL (Ligue nationale de hockey) sur la glace de Boston. A la 14ème minute, Maurice Richard prend un coup de crosse dans le visage. La star québécoise craque. Elle met un coup de poing à son agresseur, Hal Laycoe. Dans sa furie, le Rocket (son surnom) frappe aussi le juge de ligne, qui tentait de le calmer. Verdict: pénalité de match. Mais les choses ne s'arrêtent pas là. Le 16 mars, Richard est convoqué dans les bureaux de la NHL à... Montréal. Le président de la ligue, Clarence Campbell, le suspend pour les trois derniers matchs de la saison et tous les play-offs. Un gros coup dur pour une équipe qui veut décrocher la Coupe Stanley. Les supporters du Canadien de Montréal crient au scandale.

Paul-André Cadieux, figure emblématique du hockey suisse, d'origine québécoise, s'en souvient bien. Il a huit ans à ce moment et est un grand fan des Habs:

«Il y avait un fort sentiment d’injustice. Le club était un symbole: il représentait le Québec et les francophones. Il était notre fierté»
Paul-André Cadieux, ancien hockeyeur professionnel et fan dans son enfance du Canadien de Montréal

Les partisans du club montréalais – seul club francophone parmi les six équipes évoluant en NHL à cette époque – se sentent discriminés. Ils n'arriveront pas à contenir leur rage lors du match suivant, à domicile, ce fameux soir du 17 mars 1955.

Paul-André Cadieux sur le banc du HC Bâle.
Paul-André Cadieux (ici sur le banc du HC Bâle) a remporté trois titres de champion suisse comme joueur au CP Berne. Il a aussi eu une longue carrière d'entraîneur dans l'élite helvétique.

Clarence Campbell a l’audace (et la mauvaise idée) de venir voir ce duel face à Détroit. Il s'assied dans les gradins du Forum en compagnie de sa secrétaire. Il est hué, insulté. Une pluie de projectiles s'abat sur lui: programmes de match chiffonnés, crèmes glacées, œufs, cacahuètes ou encore pièces de monnaie. Un supporter de Montréal vient même le gifler à la fin du premier tiers. Clou du spectacle: une bombe lacrymogène explose dans la patinoire. Celle-ci est évacuée et la partie, logiquement, annulée. Montréal perd le match par forfait.

Le craquage de Richard à Boston et les émeutes au Forum de Montréal.

Le lendemain, les journaux montréalais sont encore chauffés à blanc et semblent peu sensibles au sort réservé au président de la NHL:

«Défi et provocation de Campbell»
La Presse
«M. Campbell a manqué de jugement, c’est le moins qu’on puisse dire. Et ce n’est pas la première fois qu’il agit comme s’il avait l’intention d’indisposer les Montréalais»
Roger Duhamel, éditorial dans La Patrie
«On a tué mon frère Richard»
André Laurendeau, dans Le Devoir du 21 mars

André Laurendeau écrit aussi, dans le même papier, que «le nationalisme canadien-français paraît s’être réfugié dans le hockey». Certains voient dans l'émeute Maurice Richard l'événement déclencheur de la Révolution tranquille au Québec. Une période durant laquelle le sentiment identitaire québécois se développe sensiblement. Il atteint son paroxysme au début des années 1970, notamment à travers le groupe terroriste indépendantiste Front de Libération du Québec (FLQ).

Pour calmer la colère de la population montréalaise et éviter d'autres incidents, Maurice Richard prend l'initiative de s'adresser lui-même à elle, le 18 mars sur Radio Canada.

Cet accent 👂🎶❤️

« Mes chers amis, parce que je joue toujours avec tant d’ardeur et que j’ai eu du trouble à Boston, j’ai été suspendu. Je suis vraiment peiné de ne pouvoir m’aligner avec mes copains du Canadien [dans les séries finales]. Je veux toutefois penser avant tout aux amateurs de Montréal et aux joueurs des Canadiens, qui sont tous mes meilleurs amis. Je viens donc demander aux amateurs de ne plus causer de trouble, et je demande aussi à tous les partisans d’encourager les Canadiens pour qu’ils puissent l’emporter en fin de semaine contre les Rangers et Detroit. Nous pouvons encore nous assurer du championnat. J’accepte ma punition et je reviendrai la saison prochaine pour aider mon club et les jeunes joueurs du Canadien à remporter la Coupe Stanley.»
Maurice Richard, sur Radio Canada le 18 mars 1955.

Malgré les encouragements de la star de l'attaque des Canadiens de Montréal, les Habs perdront en finale de NHL contre Détroit. Les pensionnaires du Forum se rachèteront de la meilleure des manières: avec le retour de Maurice Richard, les Québécois remporteront cinq Coupes Stanley de suite entre 1956 et 1960. C'est aujourd'hui encore un record.

📻 Radio Ga Ga

Paul-André Cadieux est allé voir son premier match du Canadien de Montréal à l'âge de 8 ans, en 1955, emmené par son papa.

«Pour les Québécois, c'était un pèlerinage d'aller au Forum. On y allait voir les Canadiens et manger un hot-dog moutarde avec du pain toast»
Paul-André Cadieux

Quand l'ancien coach de Fribourg-Gottéron, Genève-Servette et Lausanne, entre autres, nous raconte ses souvenirs d'enfance, on a envie de l'écouter pendant des heures. Ils reflètent une passion débordante pour le hockey sur glace, comme chez de très nombreux Québécois.

«On n'avait pas la TV à la maison», se remémore Paul-André Cadieux. «On était accroché à la radio. On s'assayait en famille autour de la table du salon pour écouter les matchs des Canadiens de Montréal dans l'émission La Soirée du hockey sur Radio Canada.» Avec son frère et des amis, il se rendait parfois à la station d'autobus de leur petite ville de Rawdon (75 km au nord de Montréal) pour voir les parties à la télévision. «On imitait les gestes des stars des Habs», rigole le résident de Villars-sur-Glâne. «Il y avait un célèbre magasin dont on recevait le catalogue, alors on commandait nos maillots et ils arrivaient par la poste.»

Freddy Mercury au Forum de Montréal
Freddie Mercury avec Queen (et une casquette des Habs), lors d'un concert au Forum de Montréal, en 1981. capture d'écran Twitter

Kiosquier physionomiste 👀

Ça fait longtemps que Paul-André Cadieux n'est pas retourné à Montréal pour voir son équipe de cœur, qui joue désormais ses matchs au Centre Bell. Mark Streit a, lui, eu la chance d'y évoluer durant trois saisons entre 2005 et 2008. L'ancien défenseur bernois y a terminé sa carrière, lors d'une dernière pige de deux matchs pendant l'exercice 2017-2018. Il se souvient d'une ferveur impressionnante, qui n'a d'égal nulle part ailleurs:

«A Montréal, on parle hockey 24 heures sur 24 dans les médias. Il est en première page des journaux. Même en été, c'est le sujet numéro 1. C’est comme une religion, un virus»
Mark Streit, ancien défenseur des Habs

L'ex-international suisse a beaucoup apprécié ses deux expériences montréalaises, même si la pression y était grande à cause des attentes du public et de son extrême engouement.

Mark Streit en 2017 avec Montréal.
Mark Streit avec le maillot des Canadiens de Montréal, en 2017. keystone

Mark Streit rigole au bout du fil quand il se rappelle d'une anecdote: «J’ai eu une surprise lors de mon arrivée en 2005. Un jour, je suis allé acheter un truc dans un kiosque. Et le vendeur m’a dit: «Vous êtes un joueur des Canadiens!» Il m'avait reconnu, alors que je venais de débarquer et que je n’étais pas une star, mais juste un petit Suisse.»

Les Canadiens de Montréal n'ont plus gagné la Coupe Stanley depuis 1993 (avec 24 titres, ils détiennent le record). Malgré cette disette et la mondialisation du hockey sur glace (l'effectif des Habs cette saison n'a que trois joueurs québécois, alors qu'ils étaient une large majorité à l'époque de Maurice Richard), la passion autour du club montréalais n'a pas baissé. «J'ai même l'impression qu'elle a augmenté entre mes deux passages», sourit Mark Streit.

Canadiens de Montréal fêtent avec leurs fans.
Les Habs fêtent un but de Mark Streit (caché par ses coéquipiers) avec leurs fans, lors des play-offs en 2008. keystone

Même si elle s'est rétrécie lors de la dernière décennie, il y a toujours une liste d'attente pour obtenir un abonnement saisonnier au Centre Bell. Et l'année passée, juste avant la pandémie de Covid-19, les Canadiens de Montréal possédaient la deuxième moyenne de spectateurs (plus de 21'000 par match) de la NHL derrière Chicago. Et ce, malgré des résultats sportifs mitigés: une seule participation aux play-offs lors des trois derniers exercices. Ces nombreux fans n'attendent qu'une chose: pouvoir revenir encourager leur équipe à la patinoire après la pandémie.

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