Les Young Boys reprendront les entraînements le 15 juin avec un nouvel entraîneur dont on ne connaît pas encore l'identité, mais déjà le profil: il défendra un style de jeu offensif tout en faisant progresser ses joueurs. C'est l'idée du football prôné par le directeur sportif bernois Christoph Spycher, et ce que fait de mieux Fabio Celestini: le coach du FC Lucerne base sa stratégie sur la «possession active» (lire plus bas) en exploitant tout le potentiel de ses joueurs.
Spycher et Celestini sont faits pour se rencontrer. Alain Joseph en est convaincu depuis deux ans. «J’avais croisé le directeur sportif des Young Boys un peu par hasard en 2019. Nous étions venus sur le sujet des entraîneurs de manière informelle, et j’avais cité le nom de Fabio. J’ai toujours dit qu’il avait le bagage pour devenir un bon coach, pour autant qu’il accepte l'idée de pouvoir progresser et acquérir de l'expérience.»
Ce que ne dit pas Alain Joseph mais qu'il pense très fort, c'est que son ancien entraîneur au Lausanne-Sport est du genre têtu. Que c'est une tronche. «Un gros caractère», résume Jérémy Manière, qui a évolué sous les ordres de Fabio Celestini au LS. Le genre de profil pas vraiment lisse qui pourrait mal cadrer dans le paysage des Young Boys, une institution ultra hiérarchisée où l'entraîneur ne doit s'occuper que de la première équipe.
Ce serait suffisant pour de nombreux entraîneurs mais pas pour Celestini. «Fabio prend une place plus importante que celle de simple coach, estime son ami Pablo Iglesias. Au LS, il s'était mis à disposition du club pour inculquer sa philosophie de jeu aux juniors.» Iglesias préfère prévenir: «Si on engage quelqu'un comme lui, il faut lui laisser carte blanche dans le choix des joueurs, le système et l'animation.» Ce n'est pas la tendance des grandes équipes et il le sait. «Avant, on prenait un entraîneur pour qu'il donnait un style au club. Maintenant, le club choisit un coach qui s'adapte à sa philosophie.»
YB vit une période de profonds bouleversements, avec le départ de Seoane et les opérations du capitaine (Lustenberger) et du meilleur buteur (Nsame). C'est peut-être le meilleur moment pour bâtir quelque chose de neuf. Jérémy Manière verrait bien Celestini en architecte du futur bernois. «J'ai l'impression qu'il a mis un peu d'eau dans son vin avec le temps. Et puis il a toujours été intelligent. S'il signe à Berne, il saura qu'il ne pourra pas tout révolutionner.» Manière en est de toute façon persuadé: «Fabio finira tôt ou tard dans un grand club». Alors pourquoi pas maintenant? «Je le verrais très bien à Berne.»
Alain Rochat aussi. «Il pourrait y avoir une bonne alchimie entre lui et les joueurs de qualité des Young Boys», souligne l'ancien défenseur de La Pontaise. Car c'est l'une des forces de Celestini: fédérer un groupe autour d'un projet commun.
Une ambition qui ne va pas sans exigences. Celestini attend beaucoup de ses hommes. «Il nous entraînait en Challenge League comme si on était le Real Madrid, se souvient Manière, flatté par tant de reconnaissance. Il accordait une importance aux petits détails. Il s'investissait corps et âme.» Au mépris de sa santé («il avait tellement donné à Lausanne qu'il était pas loin du burn-out», rappelle Iglesias) et de sa vie de famille.
Fabio Celestini a des principes de jeu dont il ne déroge pas. «C'est presque obsessionnel», sourit Jérémy Manière, qui relate cette anecdote: «Il y a cinq saisons, nous avions affronté YB chez lui. Les Bernois mettaient énormément de pression, mais Fabio nous avait demandé de ressortir proprement les ballons depuis l'arrière et c'est ce que nous avions essayé de faire durant tout le match, malgré quelques buts bêtes encaissés sur des erreurs. On avait perdu lourdement 7-2. À la fin du match, il ne nous avait pas fait de reproches. Il nous avait au contraire dit: «Le score est large, mais je suis fier de vous car vous avez essayé de jouer et ça va finir par payer».»
À cette époque, le Lausannois débarquait sur les terrains d'entraînement avec un ballon et un drone. Les séances étaient filmées dans le ciel de la Blécherette entre le passage de deux avions, puis décortiquées sur ordinateur. La vue aérienne offrait un nouvel angle d'observation au technicien, qui pouvait ainsi chasser les moindres détails.
Tout était savamment calculé. Certains joueurs l'ont vécu comme un manque de souplesse, d'autres y ont vu le signe d'une haute exigence de lui-même et des autres. La vérité est sans doute un mélange des deux ressentis.
«Ce n'est pas facile d'être son ami, reconnaît Pablo Iglesias avec bienveillance. Fabio, ce n'est pas le genre de personne qui va t'appeler pour te souhaiter un bon anniversaire. S'il te contacte, c'est pour une bonne raison, parce qu'il y a quelque chose au bout.» D'où une réputation tourmentée, surtout en Suisse romande. «C'est parce qu'il est dans son monde, songe Iglesias. Son degré d'exigence dans son métier, beaucoup ne l'ont pas dans le leur. Quand il voit que tu ne peux pas lui amener quelque chose dans son domaine... Il ne va pas y passer la nuit. Il ne perd pas de temps avec des gens qu'il ne juge pas intéressants.» Lui ne s'en formalise pas. «Je l'aime et l'accepte tel qu'il est.»
Il paraît que c'est plus facile de l'apprécier aujourd'hui; que les années l'ont adouci, à moins que ce ne soit les cours de danse latine. «Je le sens beaucoup plus à l'écoute du groupe et des joueurs», relève Iglesias.
Alain Joseph le trouve aussi changé.
Si Celestini rejoignait YB, il lui resterait un dernier problème à surmonter: le revêtement synthétique du stade de Suisse, auquel il ne goûte guère. «Ils ne vont pas changer la pelouse pour lui», prévient déjà Joseph en riant. Manière pense que ce ne sera de toute façon pas nécessaire. Il rappelle d'abord que «tous les acteurs du football, s'ils sont honnêtes, préfèrent une bonne pelouse à un terrain synthétique», ensuite que la philosophie du coach vaudois s'accomoderait bien au plastique.
Fabio Celestini n'est même plus fâché avec le terrain de Berne. Au terme de la finale de Coupe contre Saint-Gall (3-1), disputée au stade de Suisse, il s'est agenouillé religieusement et a embrassé la fausse pelouse, dans ce qui pouvait s'interpréter comme la fin d'une histoire. Ou le début d'une autre.