Il y a quelques années encore, «cinq ou six» selon un ancien sifflet, des arbitres entraient sur le terrain avec une connaissance limitée des équipes qu'ils s'apprêtaient à diriger. «Je me souviens qu'en Europa League, on arrivait au stade, on faisait notre match et on repartait», rembobine notre interlocuteur, persuadé que l'expérience remplaçait alors n'importe quelle préparation théorique. «Les dix premières minutes servaient à comprendre à qui on avait affaire.»
Mais le jeu s'est accéléré, les tactiques sont toujours plus travaillées, les mouvements savamment étudiés, si bien que les arbitres ne peuvent plus se permettre de pénétrer sur la pelouse sans être au bénéfice de connaissances pointues sur les joueurs et leur équipe.
L'UEFA le sait et a décidé de leur offrir ce qui se fait de mieux pour les préparer à l'Euro 2020. Les arbitres et leurs assistants ont ainsi tous accès à une plateforme, utilisée de longue date par les entraîneurs, sur laquelle ils peuvent visionner en différé la plupart des matches de la planète. Chaque vidéo est accompagnée d'une multitude de statistiques (coup-francs, corners, etc.) servant à se faire une idée du style de jeu des deux formations sur le terrain.
Mais ce n'est pas tout: l'UEFA met un analyste à disposition de ses arbitres avant chaque match. Ce pro des datas aura déjà tout appris des deux équipes et de leurs joueurs, et pourra ainsi renseigner précisément les hommes en noir sur ce qui les attend.
Il est la seule personne sur le terrain qui ne doit pas obéir aux consignes tactiques d'un entraîneur. Pourquoi dès lors doit-il à ce point réviser les systèmes de jeu? «Pour savoir où regarder et ainsi anticiper», décrypte Stephan Studer, neuf ans de carrière au plus haut niveau. La préparation se fait en deux temps:
Ces acquis se révèleront encore plus nécessaires dans cet Euro inédit à 24 équipes, où se mêleront des cultures du football et des styles de jeu forcément différents. «Même s'ils ont l'habitude de se confronter à d'autres footballs en Coupe d'Europe, les arbitres devront bûcher avant le début du tournoi, estime Ludovic Gremaud, dans les cartons pendant 17 saisons (dont trois en Super League). Ils pourront aussi consulter les statistiques des joueurs en club. Car le tempérament des footballeurs n'est pas bien différent en sélection.»
On imagine qu'un arbitre pourrait inconsciemment se montrer plus sévère à l'égard d'un footballeur réputé pour sa «dureté excessive», comme en dit en hockey. «Il est vrai que le fait de ne pas bien connaître les joueurs permet de ne pas opérer de distinctions entre les individus, relève Sébastien Pache. C'est ce à quoi s'attache un arbitre, mais il est humain.» Stephan Studer ne croit pas pour autant que les connaissances altèrent le jugement. «C'est même le contraire. Les informations que nous avons acquises préalablement servent à renforcer notre jugement, basé ensuite sur des faits. Le préjugé, lui, se fonde sur du non-fait.»
Ludovic Gremaud rappelle qu'il faut «trier l'info avant chaque match. Elles ne sont pas toutes bonnes à prendre.» Mais il estime lui aussi qu'un bagage de connaissances sur les footballeurs est nécessaire. «Si on s'aperçoit qu'un joueur était chaud lors du dernier match, on peut anticiper ce genre de scénario en se demandant: qu'est-ce que je peux faire pour ne pas tomber dans cette situation? Dans tous les cas, les arbitres sélectionnés pour un Euro 2020 ou un Mondial sont les meilleurs du monde. Ils savent faire la part des choses.»
➡️ Stephan Studer: «J'avais pas mal potassé pour Tottenham-Shamrock Rovers en Europa League il y a neuf ans. J'avais analysé des images du jeu irlandais, que je connaissais moins que celui de la Premier League.»
➡️ Sébastien Pache: «Je me souviens de mon premier match à Bâle, en 2014. Le FCB recevait Zurich cinq jours avant la finale de Coupe entre les deux équipes. Le contexte était particulier et il fallait en tenir compte: je ne savais pas quelles équipes seraient alignées, quels messages seraient passés avant la finale. J'avais étudié les deux équipes et beaucoup lu la presse, consulté les articles d'avant-match, les interviews, afin de me faire une idée de l'environnement de la partie. Mais en fin de compte, très honnêtement, je n'avais pas été bon ce jour-là (réd: il en sourit aujourd'hui). Peut-être en raison de la pression, ou de mon inexpérience.»
➡️ Ludovic Gremaud: «J'avais cherché beaucoup d'infos avant Thoune-GC, mon premier match en Super League. Je voulais comprendre le système de jeu, les joueurs clés des deux équipes. J'avais aussi demandé des renseignements auprès des collègues.»