Il faudrait que ledit tyran obtienne l’adhésion de ses troupes - on serait étonné du nombre de masochistes qui se réfugient dans le football - mais à Sion, c’est pratiquement impossible. Les joueurs ont la belle vie. Ils sont très bien payés, peu surmenés, et savent que Sion n'accorde historiquement aucune indulgence à ses coaches. Quelques anciens le racontent parfois au carnotzet: il suffit de traîner les pieds pendant trois ou quatre matches pour faire tomber un entraîneur. A fortiori un dictateur puisque, souvent, le premier à en subir les excès est le président lui-même.
Le patron du FC Sion a autant d’estime pour les intellos que pour les écolos. Tout entraîneur un tant soit peu dogmatique (Gabri, Dionisio) qui aurait eu pour ambition d’instituer une philosophie de jeu n’en a eu ni le temps, ni la latitude. A Sion, comme dit l’adage présidentiel remastérisé, mieux vaut être un con qui marche droit qu’un intellectuel assis sur un siège éjectable.
Avant de coacher son équipe dimanche à Lausanne, Christian Constantin avait déjà assuré plusieurs intérims. Il sait mieux que personne appliquer la règle d’or des affaires, «qui paie commande.» Mais il y a des limites, sinon des hics: c’est une chose de connaître les arcanes du football, c’en est une autre d’exercer les métiers du terrain, avec tout ce qu’ils impliquent de compétences tactiques, physiques, techniques, psychologiques, numériques.
Christian Constantin aime l’Italie. Il roule en Ferrari, porte des jeans Armani, signe ses SMS «baci», et prend volontiers son avion pour aller manger des pizzas à Rome. Tous les entraîneurs italiens du FC Sion ont joui d'une certaine immunité (Bigon, Gattuso, Tramezzani, Grosso) avant d'être confrontés à l’inexorable. Problème: qui voudrait encore d’un emploi aussi précaire? Avant de signer au FC Sion, Fabio Grosso n’avait pas pris la peine de sonder ses relations au pays, car il voulait juger par lui-même. Mais tous ses compatriotes, aujourd’hui, ne sont pas aussi mal informés.
Le poste consiste tout en même temps à se soumettre à l’autorité présidentielle, à respecter le repos des joueurs, et à accepter une part de fatalité. Chacun dans leur style, Boubou Richard, Christophe Moulin ou Didier Tholot ont réussi ce subtil amalgame de l’asservissement et du charme. Avec de la personnalité, et même des personnalités affirmées, mais sans ego. Car c’est là le principe fondamental du biotope sédunois: mieux vaut vivre paisiblement à l’ombre d’un grand homme que se brûler crânement les ailes à la lumière des projecteurs.