A main droite, l'Angleterre: un effectif d'une richesse extraordinaire, «de quoi constituer deux équipes d'égale valeur, ou pas loin», selon l'entraîneur Peter Zeidler, mais surtout, par-dessus tout, un collectif. Pour la première fois depuis qu'ils ont inventé le football, ou du moins pour la première fois depuis qu'ils laissent la victoire aux autres, les «three lions» ont atteint une forme d'adhésion générale, de dévouement total, qui les rend uni(que)s.
A main droite, l'Italie. Il y a l'idée que l'on s'en fait, celle d'un hymne entraînant et d'un style maniéré, les douleurs sur-jouées, les étreintes viriles, les replis en mode expresso serrés, cette façon de tout prendre au tragique, d'avoir le pittoresque facile et bruyant.
Nous retrouvons la finale de l'Euro dans un court instant, après une petite pause publicitaire:
Mais revenons à nos moutons...
Mais il y cette autre Italie, celle que son sélectionneur Roberto Mancini, ancien «neuf et demi» de génie, a construite sur des bases purement techniques, sans apport d'individualités dominantes. Une Italie joueuse et joyeuse, indivisible, séduisante comme jamais.
Alors dimanche, Angleterre - Italie ne sera pas seulement la finale d'un Euro éclaté, disséminé aux quatre coins d'un continent qui se regarde à peine, mais bien au contraire, l'apothéose d'un tournoi unique où les collectifs ont triomphé d'un certain individualisme contemporain, en réhabilitant des valeurs assez archaïques de connivence et de complémentarité.
Le constat renvoie aux succès de la Suisse et son patchwork multiculturel, remonté comme un coucou, aux succès de l'Espagne et sa culture du jeu de passes (une Espagne sans star, avec seulement deux joueurs de Barcelone et aucun du Real Madrid), aux succès du Danemark, bien sûr, rappelé très vite à la beauté de l'éphémère par le malaise de Christian Eriksen, et fidèle à des notions très nordiques de cohésion sociale.
Ces succès s'apprécient par opposition aux échecs de la France, peut-être même le meilleur effectif de ces trente dernières années, toutes nations confondues, du Portugal et de ses talents assujettis à la tutelle de Ronaldo, des Pays-Bas et de leurs difficultés endémiques à constituer un ensemble.
Jusqu'à sa finale, cet Euro aura restauré l'idée un peu ringarde selon laquelle, en football, la mise en valeur de l'individu ne s'affranchit jamais totalement de la performance collective, de ses dynamiques et mécanismes sous-jacents.
Tel est le postulat de Gareth Southgate, sélectionneur de l'Angleterre, lorsqu'il confie l'aile droite au très généreux Bukayo Saka (18 ans) plutôt qu'au prodige Jadon Sancho (21 ans), et lorsqu'il décerne le brassard de capitaine à Harry Kane qui, contrairement à la tradition, n'a pas une gueule de Beatles ou de Rolling Stones - «Citizen Kane», nouveau visage d'une Angleterre moins rock n'roll, mais proche de constituer un groupe.
Tel est aussi le principe de Roberto Mancini lorsqu'il aligne des profils passablement inusités de joueurs fins et petits, profondément dépendants les uns des autres, sinon totalement, par la nature même d'un jeu fondé sur la coordination des efforts.
L'Angleterre n'est pas toujours brillante, l'Italie n'est pas toujours aussi conquérante qu'elle le voudrait. Mais quoi qu'il advienne de leur finale, ces deux nations du football seront redevenues dominantes, de la plus belle et simple des manières qui soit: en formant une équipe.