Lorsque la police spéciale enfonce les portes, elle est bien surprise: une chaise de dentiste au milieu d’un container de bateau recouvert de papier d’aluminium. Des ceintures de retenue sont fixées sur ses accoudoirs. Il y a aussi des menottes, des pinces et des scalpels. Pas de doute: il s’agit d’une véritable chambre de torture.
La scène qui semble sortie tout droit de la série Netflix «Narcos» s’est déroulée, en juin dernier, à Wouwse Plantage, dans le sud des Pays-Bas. Des gangs rivaux de trafiquants de drogue se sont engagés dans une confrontation qui aurait dû se terminer par l’enlèvement, voire peut-être la mort de plusieurs personnes. Grâce à l’interception d’une communication, la police a pu intervenir au dernier moment.
L’affaire peut choquer par sa brutalité: elle est pourtant représentative de l’augmentation de la violence dans le domaine de la criminalité organisée, notamment dans le commerce de drogue international.
L’agence européenne de police criminelle (Europol) tire désormais la sonnette d’alarme. La menace qui pèse sur l’Europe et ses citoyens n’a jamais été aussi grande, selon le dernier rapport d’analyse. La pandémie et la crise économique qui en résulte constitueraient un terrain favorable à la propagation du crime organisé. Le trafic de drogue et d’êtres humains, la cybercriminalité et la fraude brassent des milliards.
Ces dernières années, on a assisté à un véritable boom de la cocaïne. Jamais auparavant une telle quantité de cocaïne n'avait été acheminée d'Amérique du Sud vers l'Europe et jamais auparavant elle n'avait été aussi pure. Le rapport ne donne pas de raisons à cette augmentation. Ce qui est clair, c’est que la production en Colombie a augmenté. Après la signature du traité de paix entre le gouvernement et les rebelles des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), de nouveaux acteurs ont repris le flambeau.
Cependant, les cartels de la drogue sud-américains eux-mêmes sont arrivés en Europe depuis longtemps. Le marché des drogues européen est le plus lucratif après l’Amérique du Nord. L'augmentation de la violence serait le signe d'une concurrence accrue entre les gangs de trafiquants, selon l’Europol. En particulier autour des villes portuaires d'Anvers (Belgique) et de Rotterdam (Pays-Bas) – qui sont les principales portes d'entrée des cartels de la cocaïne – des guerres de territoire sanglantes ont eu lieu à plusieurs reprises ces derniers temps.
Les saisies augmentent au fur et à mesure que le nombre d’expéditions de drogue augmentent. L'année dernière, 65,5 tonnes de cocaïne ont été saisies à Anvers – comme jamais auparavant. Rien qu’au début du mois d’avril de cette année, la police belge a saisi 27 tonnes de cocaïne, ce qui correspond à une valeur d’environ 1,4 milliard d’euros.
La raison de ce succès est l’exposition d’un réseau de communication crypté. Pendant des mois, les autorités belges ont pu lire des millions de messages que les criminels échangeaient via une sorte de «WhatsApp pour gangsters» en utilisant des téléphones cryptés spéciaux.
Sur les 70 000 téléphones cryptés actifs dans le monde, un quart était situé en Belgique et aux Pays-Bas. Début mars, la police est intervenue et a arrêté une cinquantaine de personnes lors d’une première vague de plus de 200 perquisitions. Aux Pays-Bas, il y a eu plus de 30 arrestations. Des avocats et des policiers corrompus ont également été démasqués, notamment un commissaire de la brigade des stupéfiants d'Anvers.
Déjà en 2020, les autorités françaises avaient pu déchiffrer un système de cryptage similaire, ce qui, en plus d'exposer la chambre de torture néerlandaise, a conduit à de nombreuses arrestations ainsi qu’à la découverte de drogues et d'armes.
Le décryptage des systèmes de communication montre également à quel point le crime organisé s'appuie désormais sur les technologies numériques. Les réseaux criminels s'organisent via le darknet et ont depuis longtemps créé un système financier souterrain, selon le rapport de l’Europol.
Les milliards de bénéfices illégaux sont réinvestis via le darknet dans le cycle économique légal, auquel les organisations criminelles participent par le biais d'entreprises légales:
L’Europol s’inquiète également des répercussions dues au Coronavirus: les organisations criminelles sont les maîtres en matière d’adaptation et pourraient trouver un «terrain idéal» pour leurs activités dans les conséquences économiques et sociales à long terme de la pandémie, selon Catherine De Bolle, chef de l’Europol. On constate déjà que la cybercriminalité s’est étendue. La contrefaçon de matériel de protection, de médicaments ou de vaccins est également un domaine d'activité de la criminalité organisée. Mais il y a aussi le risque que les organisations criminelles puissent s'établir plus facilement dans les secteurs durement touchés par la crise. Cela concerne tout d'abord le secteur de la restauration et du tourisme.
Article traduit par Anne Castella