C’est peu dire qu’elle était attendue, cette première conférence de presse de la présidence Biden. Il était 13h17, jeudi à Washington, quand Joseph Robinette Biden s’est présenté devant les micros, d’une placidité sotto voce proche de l’effacement, sa marque de fabrique, éprouvée pendant la campagne. Nous avions devant nous un homme concerné, responsable, calme. Archi préparé, déterminé, peut-être avait-il même eu droit à quelques vitamines avant la performance.
En préambule, trois minutes pour se féliciter de la reprise en mains, ou plutôt de la prise en mains, de la catastrophe du Covid, laissée en plan par son prédécesseur, un demi-million d’Américains ont succombé au virus. Et maintenant?
Ceci posé, Biden donna la parole à la trentaine de correspondants à la Maison-Blanche qui avaient été sélectionnés pour être là, à distance réglementaire les uns des autres, dûment masqués. Grandeur de l’Amérique, aucun d’entre eux n’a ciré les pompes du vieil homme, bien au contraire.
Pendant un peu plus d’une heure, ils l’ont soumis à un feu roulant de questions, avant tout sur le sujet qui fâche ces derniers jours: L'immigration latino sur la frontière sud, et ces
15 000 mineurs non-accompagnés parqués dans des camps de rétention, non loin du Rio Grande. Dans des conditions déplorables: ils ne peuvent pas aller plus loin mais le président se refuse pour l’instant à les déporter.
Car voilà, Biden n’est pas du genre à construire un mur et fait preuve d’humanisme quand il invite par exemple à se demander «pourquoi ils partent». Une attitude que ses détracteurs républicains interprètent comme un «appel d’air». L’immigration illégale pourrait être la première crise majeure de cette présidence.
Appliqué, le président manipulait son carnet à spirales, revenant souvent à ses notes manuscrites. Comme il ne twitte pas compulsivement, et ne parle que quand c’est nécessaire, il n’a pas jugé bon d’en faire des tonnes sur les actions de son administration à J+65.
La campagne de vaccination massive est une réussite. Alors qu’il envisageait 100 millions d’injections à son 100e jour à la Maison-Blanche, Biden a annoncé qu’il doublait l’objectif: cap sur les 200 millions d’injections atteintes dans 35 jours.
L’administration a fait passer devant les deux chambres un plan de relance massif de 1900 milliards de dollars, qui s’inspire directement du New Deal de Roosevelt, le modèle non avoué de Biden. Il profitera d’abord aux infrastructures, dans un triste état. Ponts et chaussées, installations ferroviaires, aéroportuaires: pour qui a arpenté le pays ces dernières années, le constat saute aux yeux. L’Amérique rouille.
Les grands travaux publics annoncés devraient créer des millions d’emplois à moyen terme, les premiers effets se feront sentir cette année déjà. Taux de croissance envisagé en 2021: +6% de PIB.
Le président a aussi indiqué que 100 millions d'Américains avaient déjà reçu un chèque de 1400 dollars, de quoi doper la consommation intérieure. Cette relance «keynésienne» ajoutera sans doute un épisode à la spécialité américaine du cycle boom & bust: quand le pays plonge, il remonte encore plus vite. Avant la prochaine plongée. En ce sens, l'impact du coronavirus n'est pas différent d'un krach économique provoqué par d'autres motifs. On pense par exemple à la crise des subprimes de 2008.
Les Etats-Unis sont de retour en Occident. Le mot peut paraître daté, mais sous la présidence précédente, le pays avait rompu tous les équilibres fondés au lendemain de la Seconde guerre mondiale et quitté son orbite naturelle.
La parenthèse est refermée, le partenariat relancé à tous les niveaux, comme en témoigne le passage la semaine dernière au siège de l’OTAN en Belgique du nouveau Secrétaire d’État Anthony Blinken. Washington a également réintégré l’Accord de Paris sur le climat, l’OMS, et occupe à nouveau pleinement sa place dans les instances multilatérales. Les quatre années précédentes ont été effacées en quelques semaines.
Le ton face au Kremlin s’est durci. Poutine est-il un tueur ? «Oui», a répondu Biden il y a dix jours. Et avec Pékin, aucune détente à l’ordre du jour, sur fond de guerre commerciale.
L’administration de Sleepy Joe («Joe l’endormi», le sobriquet accolé à Biden par son rival à l’élection présidentielle) ne prend pas de pincettes pour parler aux forts à bras de la scène mondiale, les mêmes que cajolait l’ex-occupant de la Maison Blanche.
Elle est réduite au strict nécessaire. Biden a attendu 65 jours avant de donner sa première conférence de presse, ce qui est très inhabituel. L’homme ne cause pas, il travaille. Il ne gère pas le pays en twittant depuis un parcours de golf, se montre avare en effets de manches. Hier, pendant sa prestation, sa porte-parole Jennifer (Jenny) Psaki, le surveillait du coin de l’œil, limite inquiète.
Il n’allait pas faire le spectacle, pour sûr, mais sa langue allait-elle fourcher? A part quelques hésitations, ce ne fut pas le cas. So much pour le feu d’artifice, et tant pis pour les médias américains (les audiences sont en baisse): La présidence Biden ne bavarde pas, elle essaie de sortir le pays de l’ornière.